Forfait jours : une nullité ou une privation d’effet n’ouvre pas automatiquement droit à réparation
- Rédaction G2S
- 18 mars
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Dans deux arrêts du 11 mars 2025, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences financières d’une convention de forfait jours déclarée nulle ou privée d’effet. Si le salarié peut obtenir le paiement des heures supplémentaires effectuées, l’irrégularité du forfait jours ne constitue pas en soi un préjudice. Il appartient au salarié de démontrer l’existence d’un dommage distinct pour obtenir réparation.
Un encadrement strict du forfait jours

Le forfait jours permet à l’employeur et au salarié de convenir d’une organisation du temps de travail basée sur un nombre de jours travaillés dans l’année, sans référence à un décompte horaire. Dérogatoire aux règles classiques sur la durée du travail, ce dispositif est soumis à des conditions de validité strictes :
Un accord collectif doit expressément prévoir le recours au forfait jours.
En l’absence de stipulations suffisantes dans cet accord, des dispositions supplétives doivent être appliquées.
Une convention individuelle de forfait doit être signée entre l’employeur et le salarié.
Ces exigences visent à protéger la santé et la sécurité des salariés, qui risqueraient sinon d’être exposés à des durées de travail excessives. C’est pourquoi l’employeur doit garantir une charge de travail raisonnable, une bonne répartition du temps de travail et un suivi effectif de l’amplitude de travail.
Lorsque ces conditions ne sont pas respectées, la convention de forfait jours peut être privée d’effet jusqu’à régularisation ou annulée rétroactivement par les juges. Dans ce cas, un retour au régime des 35 heures s’impose et le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées pendant la période concernée.
Toutefois, la question se pose de savoir si cette situation entraîne automatiquement un droit à réparation au titre du préjudice subi par le salarié.
Un préjudice automatique refusé par la Cour de cassation
Dans deux affaires jugées le 11 mars 2025, des salariés soumis à une convention de forfait jours ont été licenciés. Lors de leur passage devant le conseil de prud’hommes, ils ont contesté la validité de leur forfait jours et ont demandé des dommages et intérêts au motif que cette irrégularité leur avait causé un préjudice.
Le premier salarié invoquait la nullité de la convention de forfait (pourvoi n° 23-19.999), tandis que le second soutenait que son employeur n’avait pas respecté les stipulations conventionnelles régissant le forfait jours, ce qui privait la convention d’effet (pourvoi n° 24-10.452).
Les cours d’appel saisies ont rejeté leurs demandes, estimant que si les salariés avaient bien droit au paiement des heures supplémentaires, ils ne justifiaient d’aucun préjudice distinct. Les salariés ont alors saisi la Cour de cassation, soutenant que l’irrégularité d’une convention de forfait jours porte atteinte à leur droit au repos et à leur santé et doit donc être automatiquement indemnisée.
Ils invoquaient notamment la directive européenne 2003/88/CE, qui vise à garantir la sécurité et la santé des travailleurs par un temps de repos suffisant et le respect des durées maximales de travail. L’un d’eux avançait que la Cour de cassation reconnaît un préjudice automatique en cas de dépassement des durées maximales de travail et que cette logique devait s’appliquer au forfait jours.
L’argument du préjudice nécessaire rejeté
La Cour de cassation a confirmé les décisions des cours d’appel et a rejeté les pourvois. Elle a posé un principe clair :
“Le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre. Il en découle qu’un tel manquement n’ouvre pas, à lui seul, droit à réparation et qu’il incombe au salarié de démontrer le préjudice distinct qui en résulterait.”
En d’autres termes, une convention de forfait jours nulle ou privée d’effet n’entraîne pas automatiquement un préjudice ouvrant droit à des dommages et intérêts. Le salarié doit apporter la preuve d’un préjudice distinct résultant du non-respect des règles encadrant le forfait jours.
Cette position est contraire à l’avis de l’avocat général dans l’affaire du pourvoi n° 24-10.452, qui estimait que l’irrégularité du forfait jours avait un impact direct sur la santé et la sécurité du salarié. Selon lui, tout dépassement de durée raisonnable cause un dommage certain et irréversible, puisque le temps de travail excédentaire ne peut être restitué et peut avoir des conséquences à long terme.
Une jurisprudence qui limite la notion de préjudice nécessaire
Ces décisions s’inscrivent dans une ligne jurisprudentielle constante de la Cour de cassation, qui refuse d’accorder un droit automatique à réparation en cas de manquement aux règles du forfait jours.
Depuis 2016, elle estime que l’existence et l’évaluation d’un préjudice relèvent du pouvoir souverain des juges du fond et ne peuvent être présumées (Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.293 ; Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 15-21.794).
Toutefois, elle reconnaît encore certains cas de préjudice automatique, notamment en cas de :
perte injustifiée d’emploi,
absence de mise en place des institutions représentatives du personnel,
non-respect du congé maternité,
dépassement des durées maximales de travail,
non-respect du temps de pause après six heures de travail.
Le non-respect des règles du forfait jours, en revanche, ne fait pas partie des cas retenus par la jurisprudence comme entraînant systématiquement un préjudice.
Conclusion
Avec ces arrêts du 11 mars 2025, la Cour de cassation clarifie les conséquences d’une convention de forfait jours irrégulière : si le salarié peut prétendre au paiement de ses heures supplémentaires, il ne peut obtenir automatiquement des dommages et intérêts. Il doit démontrer un préjudice distinct, ce qui limite les possibilités d’indemnisation.
Cette décision conforte la prudence de la Cour en matière de préjudice nécessaire, en laissant aux juges du fond le soin d’évaluer au cas par cas les conséquences réelles d’un forfait jours irrégulier sur le salarié.
Références : Cass. soc., 11 mars 2025, n° 23-19.669