Astreinte nocturne : quand devient-elle du temps de travail effectif ?
- Rédaction G2S
- 27 mai
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Dernière mise à jour : 27 mai
Une nouvelle décision de la Cour de cassation du 14 mai 2025 rappelle que l’astreinte peut être intégralement requalifiée en temps de travail effectif si les contraintes imposées au salarié sont particulièrement contraignantes. L’intensité de ces sujétions doit faire l’objet d’une analyse concrète, menée par les juges du fond.

Astreinte ou temps de travail effectif : une frontière liée aux contraintes
L’article L. 3121-9 du Code du travail définit l’astreinte comme une période durant laquelle le salarié, sans être physiquement présent sur son lieu de travail, doit pouvoir intervenir pour accomplir une tâche au service de l’entreprise. La durée de cette intervention constitue du temps de travail effectif. En revanche, la période d’attente, si elle permet au salarié de disposer librement de son temps, n’est pas rémunérée comme du travail effectif.
Deux critères sont déterminants pour qualifier une période d’astreinte :
Le salarié ne se trouve pas sur son lieu de travail (sauf intervention),
Il n’est pas à la disposition immédiate et permanente de l’employeur.
Cependant, si les obligations imposées au salarié sont telles qu’elles affectent réellement sa liberté de vaquer à des occupations personnelles, la période peut être requalifiée dans son intégralité comme du temps de travail effectif.
Le cas d’un salarié d’hôtel confronté à des astreintes lourdes
Un employé d’exploitation polyvalent dans un hôtel, logé sur place, a saisi le conseil de prud’hommes pour demander le paiement d’heures supplémentaires correspondant à ses astreintes de nuit. Il assurait une astreinte quatre nuits par semaine, de 23h à 6h ou 6h30 selon les jours, tout en étant hébergé dans une chambre de fonction.
L’hôtel était équipé d’une borne automatique permettant aux clients d’accéder à l’établissement sans avoir à solliciter le salarié. Toutefois, celui-ci affirmait être régulièrement sollicité la nuit en raison de la vétusté des lieux et du matériel, ainsi que de l’absence d’autre personnel de garde.
La cour d’appel a partiellement rejeté ses demandes, considérant que la borne limitait les interventions nocturnes. Le salarié a alors porté l’affaire devant la Cour de cassation.
Une méthode d’analyse issue du droit européen
S’appuyant sur une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19), le salarié soutenait que ses conditions d’astreinte l’empêchaient de disposer librement de son temps. Il invoquait l’obligation de rester joignable, la fréquence des appels, et l’exclusivité de sa responsabilité sur place, ce qui rendait selon lui impossible toute organisation de temps personnel.
La Cour de cassation a donné raison au salarié. Elle a rappelé que les juges ne pouvaient se limiter à constater une limitation des interventions. Ils devaient, au contraire, vérifier si les contraintes imposées pendant les astreintes étaient suffisamment fortes pour empêcher le salarié d’organiser librement son temps lorsqu’aucune intervention n’était requise.
Cette appréciation doit être menée in concreto, c’est-à-dire à partir des faits spécifiques de l’affaire.
Une exigence d’analyse concrète des conditions d’astreinte
L’arrêt met en lumière les difficultés pour les juridictions de qualifier les périodes d’astreinte. En effet, une même période peut être reconnue comme temps de travail effectif si les contraintes qui pèsent sur le salarié sont suffisamment lourdes.
Dans ce dossier, plusieurs éléments pouvaient plaider en faveur du salarié : la présence de son numéro sur la borne d’accueil, la vétusté de l’équipement, sa responsabilité exclusive pour répondre aux urgences, ainsi que l’absence d’un système de relève. La société n’avait pas mis en place de registre des interventions, pourtant prévu dans le contrat de travail, ce qui aurait pu permettre une évaluation précise du nombre et de la durée des sollicitations.
En conclusion
Par cette décision, la Cour de cassation confirme la nécessité d’une approche individualisée des périodes d’astreinte. Elle impose aux juges du fond une obligation d’analyse détaillée des conditions dans lesquelles ces périodes se déroulent. Ce rappel méthodologique s’inscrit dans la continuité d’une ligne jurisprudentielle alignée sur le droit européen.
Les employeurs sont ainsi invités à documenter précisément les modalités d’astreinte (registre d’interventions, conditions d’accès, fréquence des appels…) afin de sécuriser les qualifications retenues en matière de temps de travail et d’indemnisation.