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Le classement des entreprises françaises les plus inégalitaires


En 2012, avec un écart de 1 à 264 entre la rémunération du PDG et la dépense moyenne consacrée à chaque salarié, l’entreprise française la plus inégalitaire est Publicis, suivie de LVMH et Danone. C’est l’enseignement du classement des inégalités salariales dans les grandes entreprises françaises élaboré par l’Observatoire des multinationales et Basta ! Les entreprises les moins inégalitaires sont Iliad (Free), Bouygues et Safran. Elles devraient être rejointes en 2013 par les entreprises publiques, puisque le gouvernement Hollande y a désormais limité l’écart de rémunération de 1 à 20. Mais toutes restent au-delà de la proposition soumise à référendum en Suisse, qui limiterait cet écart à 1/12. Explications.


Quel devrait être l’écart raisonnable de rémunération entre les salariés et leur patron ? Dans les années 1930, l’industriel Henry Ford, grande figure du capitalisme, estimait que pour être « admissible », l’échelle des salaires au sein d’une entreprise ne devait pas dépasser 1 à 40. Un bon demi-siècle plus tard, suite à la crise financière de 2008, le président Barak Obama propose de plafonner à 500 000 dollars la rémunération annuelle des dirigeants des entreprises renflouées par l’État. Soit un écart d’environ 1 à 25 avec le salaire minimum. De son côté, le gouvernement français décide en juin 2012 d’encadrer les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques, sur une échelle de 1 à 20 comparé au salaire moyen. Soit 450 000 euros maximum – 37 500 euros par mois – pour les PDG d’Areva, d’EDF ou de La Poste. Promise par François Hollande avant son élection, la mesure est entrée en vigueur en 2013. Nos voisins suisses pourraient même aller plus loin encore, puisqu’ils doivent se prononcer par référendum populaire, le 24 novembre prochain, sur une restriction de l’écart des salaires au sein d’une même entreprise de 1 à 12.

Le « marché » est, lui, beaucoup plus généreux avec les dirigeants d’entreprises cotées que ne le sont Barack Obama et François Hollande, ou que ne l’était Henry Ford, pourtant très éloigné de l’idéal socialiste. Au sein des 47 grandes entreprises du CAC 40 et du SBF 120 (Société des bourses françaises, un indice qui prend en compte les 120 premières capitalisations boursières) que Basta ! et l’Observatoire des multinationales ont étudié (voir notre tableau ci-dessous), seules 13 entreprises pratiquent un écart de salaire « admissible » au sens où le concevait Henry Ford. Toutes les autres sont au-dessus. L’écart moyen entre les rémunérations et avantages des PDG et les dépenses moyennes consacrées aux salariés – salaires bruts, cotisations patronales, primes, heures supplémentaires, plans d’épargne retraite et mutuelles d’entreprise le cas échéant – est de 77 : un PDG gagne en moyenne 77 fois plus que ses salariés ! Et cette échelle prend en compte tous les éventuels « avantages » dont bénéficient, en plus de leurs salaires, les employés. Toutes les données sont issues des documents de référence remis par les entreprises à l’Autorité des marchés financiers.

Publicis, LVMH et Danone, champions des inégalités salariales

Selon notre classement, l’entreprise la plus inégalitaire en 2012 est Publicis. Pour percevoir la rétribution annuelle du PDG Maurice Lévy en 2012, les 57 500 salariés du groupe de communication devront travailler en moyenne 264 ans ! En d’autres termes, six générations d’une même famille devront chacun leur tour bosser pendant 40 ans à Publicis pour égaler les émoluments de leur patron sur une année ! Pourtant, le groupe présidé par Elisabeth Badinter fait partie des dix entreprises qui dépensent le plus, en moyenne, par salarié [1]. Ce grand écart est en partie lié à la rétribution exceptionnelle accordée en 2012 à Maurice Lévy, qui s’est vu octroyer une « rémunération conditionnelle différée » de 16 millions d’euros s’ajoutant aux 2,7 millions de salaire annuel.

Derrière Publicis, arrive LVMH. Au sein de l’empire du luxe, il faudra travailler en moyenne 207 années pour gagner les 9,5 millions d’euros perçus par Bernard Arnault en 2012. Sa rémunération (3,9 millions) s’ajoute à la « valorisation des actions gratuites de performance attribuées au cours de l’exercice », soit plus de 5,5 millions d’euros. A mettre en parallèle avec les 45 163 euros que le groupe débourse en moyenne pour chacun de ses 106 348 « collaborateurs » dans le monde. Le multimilliardaire aime les records. Il est également la première fortune de France, avec un patrimoine équivalent à 1,8 million d’années de Smic.

Le PDG de Publicis : 1091 années de Smic en 2012

Médaille de bronze des inégalités salariales de 2012, le groupe agroalimentaire Danone, avec un écart allant de 1 à 195 entre le PDG Franck Riboud et la moyenne de dépenses consacrées aux 102 400 employés du groupe. Une gratification équivalente au travail de près de cinq générations de loyaux collaborateurs, qui, même s’ils partagent les valeurs du groupe, n’auront pas la « chance inouïe » de l’héritier d’Antoine Riboud. Derrière Danone, suivent le groupe hôtelier Accor, l’entreprise de service Sodexo – qui figurent parmi les entreprises qui dépensent le moins par salarié – ainsi que le groupe média Vivendi.

Cliquez sur chaque entrée du tableau pour voir le classement des 47 entreprises par catégorie, par ordre croissant ou décroissant (voir notre méthodologie en fin d’article :


Maurice Lévy, Bernard Arnault et Franck Riboud explosent ainsi allègrement le « maximum socialement acceptable » estimé par le cabinet de conseil et d’analyse financière Proxinvest, fixé à 240 Smic (1430 euros bruts par mois). Avec sa « rémunération conditionnelle différée », celle de Maurice Lévy atteint les 1091 années de Smic, 546 années de Smic pour Bernard Arnault et 319 pour Franck Riboud [2].

Les moins inégalitaires : Iliad, Bouygues et Safran

A l’inverse, quelles sont les entreprises les moins inégalitaires ? Iliad (télécoms), Bouygues (BTP), Safran (défense), Solvay (chimie) et Orange (ex-France Télécom) sont celles où les écarts de rémunérations pourraient être jugées « admissibles ». L’échelle entre employés et PDG n’excède pas 1 à 25. Les salariés n’y sont pas forcément mieux choyés qu’ailleurs : Iliad (Free), dirigé par Xavier Niel, est l’une des entreprises qui dépense le moins pour ses troupes : 26 160 euros en moyenne. Dans ce cas, le faible écart s’explique par la relative modération des rémunérations de ses dirigeants : 384 000 euros « seulement » pour chacun des deux directeurs généraux d’Iliad, Maxime Lombardini et Thomas Reynaud. De son côté, le fondateur de Free se contente de 175 360 euros par an. Ce qui en fait le grand patron de notre panel le plus modéré en matière de rémunération. Xavier Niel n’est cependant pas à plaindre : il détient 58 % de sa société, la valorisation de l’action l’ayant propulsé à la 10ème place des plus grosses fortunes françaises, selon le classement du magazine Challenges. Bien qu’elles dépassent le million, les paies des PDG de Bouygues, Safran, Solvay et Orange sont aussi parmi les dix moins élevées des 47 entreprises étudiées. Cette modération est toute relative. La direction de Safran envisage de verser un parachute doré de 2,8 millions d’euros à son PDG, Jean-Paul Herteman. Indemnités à laquelle l’État, actionnaire à 30%, s’est opposé.

Qu’en est-il des entreprises publiques ? En juin 2012, le gouvernement a pris un décret limitant la rémunération des entreprises où l’État est majoritaire, à 450 000 euros par an. Deux entreprises de notre tableau sont concernées : Areva et EDF. Henri Proglio, le patron d’EDF, devra diviser par trois son salaire en 2013, et Luc Oursel, celui d’Areva, par six [3]. Si ce plafond est respecté, Areva et EDF deviendront les entreprises cotées les plus égalitaires, avec un écart entre patrons et dépenses moyennes par salarié allant de 1 à 6 pour Areva et de 1 à 11 pour EDF.

Écarts inadmissibles

Voici un an et demi, le gouvernement affichait sa volonté d’encadrer les émoluments des dirigeants de toutes les entreprises cotées, et pas seulement celles où il détient la majorité du capital. « Une loi régulera, voire prohibera certaines pratiques qui nous semblent excessives et donnera davantage de place aux représentants des salariés dans les instances qui fixent les rémunérations », prévenait